Réfugiés centrafricains au Tchad : les non-dits du calvaire des familles

4 septembre 2014

Réfugiés centrafricains au Tchad : les non-dits du calvaire des familles

Pas moins de 2 599 membres des familles réfugiées à Sido, au sud du Tchad, sont morts entre novembre 2013 et avril 2014, lors de la campagne de persécution contre les populations musulmanes de République centrafricaine (RCA).  Sur 32 768 membres qui composaient initialement les 3 449 familles interrogées, 33 % des familles avaient perdu au moins un des leurs ; 28 % en avaient perdu au moins deux. Plus de la moitié (57 %) des familles interrogées à Sido étaient originaires de Bangui d’où sont partis la majorité des convois de réfugiés. Enquête.

Au-delà des besoins immédiats d’aide humanitaire, ces personnes portent des souffrances que seul le temps peut aider à guérir. Ces personnes ont vu des membres de leur famille souffrir atrocement avant de mourir sous les coups des violences. Aussi, ces réfugiés gardent des souvenirs douloureux de leur fuite vers le Tchad où ils trouvent refuge. Plusieurs mois après, les langues se délient pour confier les atroces souvenirs vécus par les uns et les autres.

« Les anti-Balaka ont attaqué puis occupé Yaloké. Je suis restée 20 jours en brousse avec 8 autres personnes de mon village. Des gens m’ont prévenue que l’armée française venait évacuer les musulmans. C’est à ce moment-là que je suis sortie de la brousse. Ils nous ont emmenés jusqu’à la mosquée de Yaloké, et ensuite jusqu’à l’aéroport de Bangui. J’y suis restée plus de 2 semaines avant de monter dans un convoi de l’armée tchadienne », affirme Kadidja, femme de 28 ans originaire de Yaloké. Marcel originaire de Bouali se confie lui aussi : « Nous sommes restés 20 jours à l’église de Bouali avec 800 autres personnes. L’armée française nous protégeait avant d’être remplacée par la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine) qui nous a ensuite escortés jusqu’à la mosquée de Yaloké. Puis l’armée tchadienne nous a emmenés jusqu’à l’aéroport de Bangui où nous sommes restés trois semaines avant de prendre le dernier convoi vers Sido ».

Selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), au total de 101 786 personnes auraient ainsi rejoint le Tchad, par avion et par camion. Entre le 1er novembre 2013 et le 8 avril 2014 (avec un pic en janvier 2014), plus de 26 000 réfugiés centrafricains sont arrivés, majoritairement à bord de convois militaires, à Sido, ville tchadienne frontalière avec la RCA. Parmi eux, des musulmans centrafricains ayant saisi l’opportunité de fuir eux aussi leur pays à bord des camions. Deux sœurs d’une dizaine d’années originaires de Bossembélé, témoignent elles aussi. « Lors de l’attaque, nous avons fui en brousse avec des voisins. Le mari de l’une de nos grandes sœurs a réussi à nous retrouver et à nous ramener chez eux à Bonali. De là, nous avons fui tous ensemble vers Bangui dans l’un des convois de l’armée tchadienne ».

Des milliers de morts lors de la fuite

En effet, selon une enquête de mortalité menée par Médecins sans frontières MSF 85 % des décès (soit 2 208 morts) ont eu lieu en RCA, avant le départ, dont plus de 95 % (soit 2 110 morts) sont imputables à la violence (balle, arme blanche, éclats de grenades, tirs de mortiers), près de 85 % des victimes étaient des hommes (soit 1 863 morts) et plus particulièrement ceux âgés de 33  à 44  ans.
Cette série de violences n’a épargné ni les femmes, ni les enfants, moins encore les personnes âgées. Ainsi, 209 enfants âgés de moins de 15 ans et 227 personnes âgées de 60 ans et plus sont morts de causes directement imputables à la violence en RCA avant le départ, rapporte l’enquête humanitaire. Ces violences ont amené les survivants à voir toutes les facettes de la mort : « Je rendais visite à mon frère à MBaiki quand après le départ de la Seleka, la ville a été attaquée par les anti-Balaka. Ma mère a été tuée sous mes yeux (…) Une partie de ma famille est restée à l’aéroport de Bangui » raconte Marie, 16 ans

Autre témoignage, celui Mayda originaire de PK13 (sur la route de Bouali) : « Les anti-Balaka ont attaqué notre village. Nous étions une centaine de personnes regroupées dans une grande maison. Ils ont séparé les hommes et les jeunes garçons, 45 au total, dont nos maris, et les ont exécutés en face de nous. Puis ils ont mutilé les corps . Des familles ont été égorgées. J’ai vu une femme enceinte éventrée et un bébé décapité par les anti-Balaka ».

Ces femmes ne sont pas prêtes à oublier les violences qu’elles ont subies. Elles témoignent avec douleur, mais acceptent de le faire afin de partager le chagrin qu’elles portent. Certaines causes de mortalité sont liées au déplacement de ces réfugiés. La fuite et l’embarquement à bord des camions vers le Tchad ont été chaotiques. Les conditions de transport ont été particulièrement difficiles, notamment pour les enfants et les personnes âgées (200 à 300 personnes par camion, étouffements, piétinements et déshydratation.). Aussi, les convois ont souvent été la cible d’attaques. Le voyage a été fatal pour 322 personnes ; un peu plus de 78 % de ces décès sont dus à la violence lors de la fuite vers le Tchad.

refugies
« Deux grenades ont touché les deux camions qui roulaient juste derrière le nôtre. Nous avons fini par atteindre l’aéroport de Bangui. C’était horrible, tout le monde courait, moi aussi j’ai couru pour monter dans l’avion», affirme Bakongo ; 18 ans.
Deux jeunes filles originaires de Bossembélé revivent leur fuite : « Sur la route, notre camion est tombé en panne. L’escorte ne s’est pas arrêtée et les anti-Balaka nous ont immédiatement attaqués. Tous les hommes, y compris notre beau-frère, ont été tués à la machette devant nous. Certaines femmes ont été violées. Ma petite sœur a été piétinée. Puis, les anti-Balaka ont mis le feu à toutes nos affaires, ils nous ont fait croire qu’ils allaient nous cuire avec et nous dévorer ensuite. Ils nous ont abandonnés là, en pleine nuit ». Beaucoup de réfugiés ont affirmé avoir subi des violences en chemin, ce qui confirme le nombre de morts par violences. Et ce, malgré l’escorte de l’armée.

La fermeture des frontières tchadiennes, un obstacle pour les réfugiés

Mi-mai 2014, le Tchad a décidé de fermer sa frontière avec la RCA. Désormais, les réfugiés doivent prendre d’énormes risques pour parvenir à la franchir. Plus de six mois après le début de l’exode forcé des populations musulmanes de l’ouest de la Centrafrique, des familles continuent à prendre la route du Tchad pour fuir les exactions. Depuis la fin des convois en février, c’est par leurs propres moyens qu’elles doivent se déplacer, passant souvent plusieurs semaines en brousse afin d’éviter les attaques, les patrouilles et les pillages, avant de pouvoir atteindre la frontière.
Depuis la mi-mai, les autorités tchadiennes confirment que la frontière est fermée dans le sens Tchad-RCA, mais laissent entendre que les personnes en détresse, ainsi que les ressortissants tchadiens, peuvent toujours entrer sur le territoire dans le sens RCA – Tchad. En réalité, sur le terrain, l’on constate la fermeture du point de passage de Sido, avec des ouvertures sporadiques tous les dix ou quinze jours seulement, afin de ne laisser passer qu’une centaine de personnes », explique Sarah Chateau, chef de mission MSF au Tchad. Les réfugiés doivent aujourd’hui prendre d’énormes risques pour pouvoir traverser la frontière à Sido. »
Ainsi, le 13 juin, quatre personnes ont été tuées alors qu’elles tentaient de franchir la rivière en direction de Sido. Le 3 juillet, une centaine de personnes victimes de l’attaque de leur village en RCA ont tenté de traverser la frontière à Sido et ont été refoulées. Au moins cinq d’entre elles avaient été blessées par balle lors de l’attaque, dont une femme et trois enfants. Ils ont dû marcher 24 heures avant d’arriver à Bethel, village tchadien frontalier, où elles ont été prises en charge par les humanitaires présents sur les sites et transportées vers l’hôpital de Goré.

Brya Elise Grâce

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